Camille Albert, une architecture entre éclectisme, historicisme et régionalisme
Ouvrage issu d'une thèse soutenue à l'énsa-V en 2004, éditions Créaphis.
Lu par Gilles Maury (note de lecture extraite de fabricA, 3, 2009, p. 226-228)
Issu de sa thèse soutenue en 2004 *, le premier ouvrage de Manolita Fréret-Filippi s’appuie sur le parcours reconstitué de l’architecte Camille Albert (1852-1942), installé à Fécamp et qui exerça les fonctions d’architecte communal tout en restant au service d’une vaste clientèle privée. L’intérêt que l’on peut porter aujourd’hui à un praticien « sans renommée », selon les mots de l’auteur, repose dans la mise en tension du contexte touffu dans lequel il s’est inséré avec l’examen critique de sa production. Comme le souligne François Loyer dans la préface, le pari initial de cette recherche tient de la gageure. Mais en s’attaquant au destin d’un obscur architecte de la IIIème République, Manolita Fréret-Filippi saisit l’occasion de renouveler les approches biographique et monographique.
Les possibilités du récit historique contemporain autorisent l’auteur à débuter son récit non par la formation de l’architecte et ses inévitables premiers pas professionnels, mais par l’aspect le plus connu de sa carrière. La construction du palais-usine de la Bénédictine à Fécamp, qui occupa l’architecte de 1882 à 1900, catalyse en effet les facteurs essentiels de sa carrière. Sa rencontre avec l’industriel Alexandre le Grand, tout en le fixant à Fécamp, permet à Camille Albert de développer une pratique professionnelle qui touchera aux types les plus variés de commandes. Privées comme publiques, exceptionnelles ou ordinaires, les architectures de Camille Albert endossent les habits les plus divers, qui dictent le sous-titre de l’ouvrage : éclectisme, historicisme et régionalisme.
L’accumulation de dénomination proposée par l’auteur est évidemment interrogative et cherche à cerner les limites de ce type de division théorique, catégories qui à elles seules ne permettent pas de comprendre la production d’un architecte comme Camille Albert. Manolita Fréret-Filippi a saisi là les enjeux que posent à la fois la recherche actuelle en histoire de l’architecture et les éléments singuliers propres aux acteurs qu’elle évoque. Tout bâtiment, et au-delà toute carrière, ne se comprend pleinement qu’avec la connaissance précise de son histoire, mise en regard d’un contexte étendu englobant, entre autres, des points de politique locale, le rôle des entreprises de construction ou la question des références internationales. Définitivement distant des lectures stylistiques architecturales isolées, ce type de récit engage son auteur dans un tissage complexe de faits dont la clarté de l’écriture rend la lecture aisée, voire passionnante.
Loin d’être strictement chronologiques, les chapitres enchaînent les questionnements féconds autour de la pratique ordinaire de l’architecture à l’articulation des XIXème et XXèmesiècles. La question de la nature du décor apparaît néanmoins comme un thème récurrent et clos synthétiquement la réflexion de l’auteur. Les ouvertures d’une telle recherche, qui repose autant sur le classement d’archives que sur une attention méticuleuse au contexte socio-économique et politique, sont nombreuses : l’histoire de l’architecture s’écrit aussi à travers la pratique des architectes « ordinaires ». Sur le plan éditorial, avec son appareil de notes condensées et ses différentes annexes simplifiées, l’ouvrage se pose en parfait exemple d’une publication de thèse, n’en retenant que l’essentiel au profit d’un lectorat plus vaste. Regroupée en quatre cahiers de longueur variable sur papier satiné, contrastant avec le reste du livre, l’ensemble de l’iconographie est en grande partie inédite. Le principe général retenu pour ces cent quarante-deux illustrations met en balance réduction des frais d’impression et confort de lecture. Si certains documents sont parfois fort éloignés de leur entrée dans le corps du texte (en amont comme en aval), cette option de mise en page se défend. Certes, elle permet à l’éditeur de proposer l’ouvrage à un prix attractif, mais elle possède aussi l’avantage d’offrir plus d’espaces aux illustrations et confère au texte un statut autonome.
Plus connues pour leurs publications autour de la photographie ou pour leurs ouvrages sur la ville et l’histoire sociale, les éditions Créaphis étoffent avec le travail de Manolita Fréret-Filippi la section histoire de l’architecture de leur catalogue. Dans le contexte actuellement difficile de l’édition, on espère à ce choix courageux de fructueuses prolongations.
* Un historicisme régional sous la IIIème république. Camille Albert (1852-1942), architecte de la ville de Fécamp, thèse de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/Ladrhaus, ènsa-V, mention « Histoire culturelle et sociale de l’architecture et des formes urbaines », sous la direction de François Loyer.