Formaliser les angles morts de la recherche. L'exemple des lieux de drague
Coordination Adrien Le Bot, doctorant au LéaV
Résumé
Les concepts de « sexualité(s) » et d' « urbanité(s) » s'imbriquent de façon ambivalente. Terme polysémique, l'urbanité renvoie à la fois à une dimension culturelle, à une « vie de l'esprit » spécifique aux villes (George Simmel) et, dans son sens premier, à une disposition à l'affabilité et aux usages d'un monde que l'on relie habituellement – encore une fois - à la ville. Le caractère normatif de ces deux types d'usages de la ville semble peu s'accommoder de la dimension transgressive de sexualités masculines que nous qualifions de « latentes ». Nous entendons par là des pratiques sexuelles reposant sur un déni collectif ou sur une absence de conscience par les habitants de la ''ville-norme''. Pour le dire autrement, nous évoquons des situations et des usages qui semblent échapper à l'urbanité. Mais il s'agit là que d’une vue en trompe l'oeil : pour reprendre la pensée de Michel Foucault, les acteurs de l'urbanité (des aménageurs aux passants ordinaires) répriment et gèrent la sexualité dans un même processus d'« administration de la vie sexuelle sociale » (Foucault), produisant alors ces ''territoires autres qui sont au coeur de notre réflexion. De tels territoires semblent apparaître comme des instances secondaires, à la fois comme refoulés par la ''ville-norme'' et porteurs d'enjeux indispensables à son équilibre, pas si éloignée de la “Part maudite” de Georges Batailles. Fustigés et hyper-fréquentés, relégués et créatifs, objets de coercition et nécessaires à la régénérescence de l'imaginaire citoyen, nous faisons l'hypothèse qu'ils sont dotés de qualités en termes d'habiter, créant aux lisières, et parfois au coeur même de l'urbanité, des niveaux d'interstice où s'engouffre l'imaginaire habitant. Le potentiel qualitatif de ces territoires a largement été traité dans la littérature (Burroughs, Genet, Selby, Guibert, Dustan) et dans le cinéma (Bunuel, Friedkin, Chéreau).
Partant de ce constat ce qui nous intéresse dans le cadre de cette journée d'étude touche à la formalisation de cet "impensé de la recherche". Cet angle mort représentationnel pose alors la question de sa mise en forme. Comment écrire et décrire des situations latentes propices à l'imaginaire de la sexualité? Comment les sciences humaines et les arts peuvent-ils s'emparer de ces interstices créatifs au sein d'espaces domestiqués, publics ? Comment rendre compte de ces points de contact entre l’urbanité et la sexualité et in fine des “rencontres” durant lesquels chacun s'engage dans une éthique de vie en respectant et en explorant « d’autres règles », répondant alors à des imaginaires, à des fantasmes par le détournement ?